Courtes notes en passant sur « Petite fille »

Ce texte sera moins « militant », moins théorique que ce que je compte produire sur mon blog. Je pense avoir le droit d’écrire avec mon cœur et mes yeux, pas seulement avec ma tête…

« Petite fille » est le documentaire-évènement de ce mois de décembre. Il suit pendant un an la vie, le parcours de Sasha, petite fille transgenre et de sa mère, en butte à la transphobie ordinaire.

Sébastien Lifshitz promène sa caméra en toute légèreté, il ne fait pas accepter de force sa présence. Il laisse vivre et évoluer Sasha, sa famille sans s’imposer, sans chercher à s’imposer. Il nous permet ainsi de pénétrer dans leur intimité, sans voyeurisme, sans jugement.

Il le fait sans chercher à tirer les larmes, même si celles-ci viennent facilement.

Sasha avec sa mère chez le pédopsychiatre (Copyright Agat Films et Cie)

« Petite fille » montre à quel point le soutien d’une famille, des proches est indispensable pour qu’un enfant trans, un adolescent trans et plus tard un adulte trans puisse s’épanouir. La métamorphose de Sasha, que l’on voit s’illuminer, irradier dès lors qu’elle commence à habiter, à vivre son identité féminine est significative.

Comme beaucoup d’entre nous, Sasha vit à côté de son corps, elle est en apnée au début du documentaire. Et plus elle habite son identité féminine, plus elle avance dans sa transition sociale; plus elle se réapproprie son corps, elle court, elle danse, elle rit…

La transphobie qu’elle subit à l’école ou au conservatoire de danse apparaît d’autant plus absurde. La force du documentaire est justement qu’il n’impose pas un discours, une thèse – ce qui provoquerait un mouvement de rejet – mais au contraire amène finement et logiquement à comprendre ce qu’est la transphobie, ses conséquences concrètes. Quand l’équipe pédagogique est hostile à Sasha et à sa transidentité, on voit ainsi bien que c’est perçu par les enfants comme un feu vert pour harceler l’enfant.

Quand on est militante, on sait que la transphobie n’est pas « absurde ». La transphobie, le cissexisme ont un rôle social, politique. Il s’agit d’assurer la fixité du genre, de figer les classes de sexe en castes de sexe pour maintenir le patriarcat, c’est à dire l’exploitation de la classe des femmes par celle des hommes. Mais il est évident que ce documentaire n’avait pas vocation à porter ce discours. Ce n’est pas son rôle. Ce serait lui faire un faux procès.

On peut regretter néanmoins qu’il faille en passer par des documentaires émouvants comme celui-ci pour obtenir la validation des personnes cisgenres. C’est là mon principal regret.

Notamment parce que chaque personne trans a un parcours différent, expérimente différemment dysphorie de genre et euphorie de genre, assume à des âges différents sa transidentité… Dans mon cas, c’est au début de la puberté, de la préadolescence, que j’ai commencé à vivre à côté de mon corps, à le haïr, à vouloir vivre sans lui, et il m’a fallu bien des années pour assumer vouloir transitionner, pour comprendre que c’était possible de transitionner d’ailleurs.

Je le regrette aussi parce que le discours sur les enfants trans peut-être à double tranchant. C’est en effet au nom de la protection des enfants que les groupes transphobes aux Etats-Unis et au Royaume-Uni notamment mènent leurs campagnes de haine et de lobbying, financées par l’extrême-droite chrétienne intégriste. C’est au nom de la protection des enfants qu’ils ont obtenu l’interdiction des bloqueurs de puberté au Royaume-Uni sans l’accord des parents (et font campagne pour interdire toute transition sociale), ce qui ouvre une brèche dans la compétence Gillick 1 et donc menace l’accès à la contraception et à l’avortement pour les adolescentes.

Je le regrette aussi parce que ça tend à nous enfermer dans un rôle de victimes, de personnes qui sont là pour inspirer les personnes cis. Nous avons su franchir tels ou tels obstacles, nous sommes une leçon de vie. Ce qui en fin de compte est un peu déshumanisant.

Comme autres remarques, on pourrait questionner les scènes où Sasha s’habille (qui rappelle le trope classique des scènes de féminisation des femmes trans tel qu’évoqué par Julia Serrano dans son « Manifeste d’une femme trans« ) voire le focus sur comment sa famille vit sa transidentité.

Néanmoins, je conseille « Petite fille ». Sasha est lumineuse, et je lui souhaite de revenir à un anonymat qui lui permettra de grandir comme une petite fille normale, ou presque, de devenir une femme normale si elle le souhaite. Qu’elle puisse avoir le choix d’être visible ou invisible, mais je lui souhaite avant tout d’être heureuse.

Notes:

1 Le droit familial britannique selon la loi de 1969 stipulait qu’un enfant de 16 ans était en mesure de donner un consentement valide en cas de besoin d’un traitement médical. Le dossier Gillick, jugé en 1985 devait déterminer si une jeune fille de moins de 16 ans pouvait recevoir des conseils et un traitement contraceptif de la part d’un docteur sans que le consentement des parents soit nécessaire. Par une majorité de 3 contre 2, la Chambre des Lords a statué que les droits parentaux étaient reconnus par la loi tant qu’ils étaient nécessaires pour la protection de l’enfant, mais que ces droits cédaient le pas aux droits de l’enfant de prendre ses propres décisions dès lors qu’il ou elle développait un degré de compréhension et d’intelligence lui permettant de se faire sa propre opinion sur la décision en question. Ce texte marque donc la naissance du concept de « compétence Gillick » nécessitant d’évaluer le niveau de maturité et d’intelligence de l’enfant.

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