Notes éparses.

Tiens, vous êtes encore là vous ?

Ne faites pas attention à moi, je viens faire les poussières, ouvrir les fenêtres pour aérer un peu… Après tout, ça fait deux ans et demi que je n’ai plus mis les pieds ici.

Je reviens pour écrire ce texte, peut-être le moins politique d’entre tous.

Il y a un mème assez connu dans « l’internet trans » qui montre que plus on avance dans sa transition, moins on ressent l’envie ou le besoin de parler de transition, de sa transition, de transidentité. Plus on avance dans son propre parcours de transition, plus on se voit réassignéE à son genre de destination, à son genre désiré. Moins on a un vécu trans au quotidien. C’est ce qui m’arrive.

Après toutes ces années, cela me parait parfois lunaire de me renvoyer moi-même à la transidentité, aux parcours de transition, à ce qu’est être trans, à ce qu’est le genre… J’ai évolué à côté du reste de la communauté trans. Je ne me suis pas socialisée ni construite dans celle-ci, mais dans le reste du mouvement social.

Comme je l’avais écrit dans mon article du 19 août 2020, ma réassignation de genre a été très rapide. Je n’ai pas connu cette phase d’entre-deux pendant laquelle on est visible comme « trans », comme « freak », comme « ni homme ni femme ou les deux ». Rien de tout cela. Je n’ai que peu d’expérience de la transphobie. Et rapidement, j’ai connu bien davantage l’expérience quotidienne du sexisme, de la misogynie.

J’ai été femme bien plus dans le regard des autres et le traitement social qu’ils m’ont fait, qu’ils m’ont imposé, que dans tout mon for intérieur, dans tout mon ressenti. Et je vous raconte tout ça en tant que « Vraie Femme Transsexuelle TM Dysphorique Diagnostiquée ».

Il y a deux ans encore, j’écrivais ce texte sur mon identité de « fem« . J’y écrivais « Je ne suis ni binaire, ni non-binaire. Je suis une fem. Je performe une féminité avant tout à destination des femmes, des femmes lesbiennes ; je performe une féminité qui n’est pas destinée au regard masculin, à la validation masculine. Je performe une féminité qui se veut en dehors du cadre hétérosexuel. »

J’y notais aussi « Je ne recherche pas la subversion pour la subversion, mais est-ce vraiment si peu subversif que ça de s’accaparer des codes pour en faire ce qu’on veut et le contraire de ce qui est attendu ? Est-ce si peu subversif d’être féminine mais pour séduire les femmes et ne surtout pas chercher à plaire aux hommes ? Est-ce si peu subversif de faire mine, de faire semblant de se conformer aux normes de genre pour mieux déployer son individualité à contre-courant ? »

Je jouais à partir des règles les plus simples, à partir des codes que je connaissais, et qui me permettaient de cispasser. Qui me permettaient de me rassurer, de prendre confiance en moi. D’éviter les agressions transphobes.

Aujourd’hui, on est deux ans et demi plus tard, et que reste-t-il de tout cela ? Comme de nombreuses femmes trans, j’ai embrayé sur mon chemin de « dé-féminisation ». Je ne ressens plus le besoin de rendre des comptes sur ma féminité, de démontrer que je suis une femme au quotidien. Je ne me maquille plus. Je ne porte quasiment plus les robes et les jupes, et ne parlons pas des talons…

Je suis arrivée au bout de mon parcours, médical, administratif. Je me sens comme n’ayant plus rien à prouver, ou du moins, comme n’ayant encore moins de choses à prouver qu’avant, qu’au début de mon parcours. Je suis arrivée au bout de mon parcours et c’est comme si je pouvais respirer, desserrer l’étreinte.

Je ne regrette pas d’avoir été « fem », et peut-être que je me réapproprierai cette identité un jour. Peut-être que je jouerai de nouveau avec ces codes, que je jouerai à me déplacer sur le spectre de la « fem ». Peut-être que c’est déjà ce que je fais.

Après tout, on s’ébroue, on se secoue pour faire péter les carcans genrés, pour pouvoir aimer qui on veut, pour changer de classe de sexe; ce n’est pas pour s’enfermer dans de nouvelles normes, dans de nouvelles cages, de nouveaux carcans. La « fem » n’a pas à s’enfermer dans une identité rigide.

Je repense à ce passage de But I’m a cheerleader. Megan (Natacha Lyonne) a été chassée de True Directions, le centre où elle avait été envoyée pour subir une thérapie de conversion. Elle a été recueillie par Lloyd (Wesley Mann) et Larry (Richard Moll).

« But I’m a Cheerleader » de Jamie Babbit (1999)
(Copyright Cheerleader LLC, HKM Films, Ignite Entertainment, Kushner-Locke Company)

« Megan: Je pensais que vous pourriez m’apprendre comment être une lesbienne, comment elles s’habillent, où est-ce qu’elles vivent… Vous voyez…
Lloyd: Megan, on ne peut pas t’aider là-dessus. Il n’y a pas qu’une seule façon d’être lesbienne. Tu dois simplement continuer à être comme tu es. »

Je ne m’impose plus rien aujourd’hui. Si ce n’est « continuer à être comme je suis ». J’ai été femme plus que trans, et fem plus que femme. Et je me dis qu’en dernière instance, si j’ai une identité de genre, c’est plus « lesbienne » que femme. Bien sûr, je ne me suis pas extraite de la bi-catégorisation hiérarchique (homme – femme) de la société. Bien sûr, je suis toujours vue, perçue, traitée comme femme dans presque toutes les sphères de la société (excepté, évidemment, la sphère domestique).

Mais je ne suis pas vue, perçue, traitée uniquement comme femme. Je suis vue, perçue, traitée comme femme et comme « autre chose » en même temps. Cet « autre chose », c’est lesbienne.

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