Qu’est ce qu’on attend des femmes trans ?
Des témoignages émouvants, les plus tire-larmes possibles, inspirants sur l’oppression qu’elles subissent, sur leurs expériences, sur leurs souffrances. Sur leur vécu. On les remercie d’avoir partagé leurs histoires.
Puis quand vient l’heure de théoriser sur les thématiques féministes ou relatives à la transidentité, on leur montre poliment la porte. Il est temps de laisser les « gens sérieux », universitaires, les Paul Preciado ou les Arnaud Alessandrin, réfléchir et écrire, politiser la question. Le travail se divise ainsi : Aux femmes trans l’émotionnel et le ressenti, aux autres l’élaboration. Le sous-texte est en effet que les femmes trans sont incapables de mener à bien cette élaboration, car trop impliquées, trop concernées. Trop femmes aussi, probablement.
Je suis engagée dans un parcours de transition depuis aujourd’hui près de deux ans. Je suis perçue socialement comme femme au quotidien (et donc traitée/maltraitée parce que femme). J’ai obtenu mon changement d’état-civil intégral, je suis par conséquent reconnue légalement comme étant une femme.
J’ai donc ressenti le besoin d’élaborer à partir de mon expérience, de ma politisation personnelle, de mes lectures, car je ne me retrouvais que peu (ou pas du tout) dans les discours autour de la transidentité, autour des femmes trans, autour de la transphobie et de la transmisogynie.
J’ai ressenti le besoin d’ouvrir ce blog face à un discours général qui vise en permanence à cliver femmes trans et femmes cis, face à un discours général qui tend à présenter les femmes trans comme des femmes mais « avec un truc en plus », « à part », « différentes » ; des « victimes du patriarcat » qui ne vivrait pas le sexisme mais uniquement la transphobie. Parce que j’en avais marre qu’on parle en mon nom.
Je pense qu’on a besoin de faire entendre un autre discours.
Une autre voie entre un essentialisme et un différentialisme camouflé en matérialisme et un discours queer/libéral focalisé sur les identités, les ressentis, la performance. Aucun des deux n’est utile, aucun des deux ne permet d’appréhender sérieusement les questions trans*.
Je veux avoir un blog pour explorer les possibles, tâtonner, revenir en arrière, chercher des réponses sans forcément les trouver; je veux avoir un blog pour promouvoir un discours transféministe et féministe qui se tienne.
Ma formation, mon inclinaison, c’est le féminisme radical. C’est Andrea Dworkin, c’est Christine Delphy (et ses classes de sexe) contre Christine Delphy (et sa transphobie). Je n’ai pour le moment pas trouvé de meilleur outil, de meilleur logiciel pour politiser ma transition. Ce blog me servira à développer à partir de ces bases.
Je veux avoir un blog où mettre en ligne mes fiches de lecture.
Je veux enfin avoir un blog, avoir ce blog, car nous voici dans un nouveau contexte. La 4e vague féministe, celle des mouvements de masse, est en train de déferler en France en même temps qu’à l’échelle mondiale. On commence à discuter la « grève des femmes » du 8 mars et des organisations syndicales l’inscrivent dans leur orientation. De nouvelles générations militantes arrivent. Elles font péter les vieux clivages qui paralysaient le mouvement féministe il y a encore 4 ou 5 ans (voile, travail du sexe, transidentité) et le divisaient de manière irréversible.
Je veux apporter ma petite pierre à cet immense édifice.
D’où ce blog : High Fem and Radfem, un blog lavande et rouge.