Écrire le précédent article me fait réaliser que je n’ai pas tout dit. Tout me creuse et me gratte. Tout veut monter à la surface.
C’est un commentaire de mon dernier article sur Twitter qui m’a stimulée. Il disait « J’ai pleuré lol ». Tout simplement. Relisant mon texte, j’ai cru comprendre pourquoi. Je ne m’en suis pas rendue compte à l’écriture, car je suis un robot, une machine quand j’écris. C’est à la lecture, plus détachée, sortie, que je me suis aperçue que les derniers paragraphes exprimaient une émotion.
Et maintenant, je dois écrire. Pour essayer de comprendre.
Il se passe quoi après ? Il se passe quoi quand on a fini sa transition ? On fait quoi de ses fantômes ? On fait quoi quand on n’est plus trans ? Quand on ne l’a jamais vraiment été, c’est-à-dire quand on n’a pas socialisé dans les milieux trans, quand on n’a pas été (mal)traitée comme trans ? Quand on est passée entre les gouttes, qu’on est stealth au quotidien ?
On est quoi ? On fait quoi ? On devient quoi ? Il se passe quoi « après » ?
Je pourrais revendiquer, clamer ma transidentité à la face du monde. Oui. C’est une possibilité. Mais pourquoi me mettre (ou me remettre) le stigmate sur la tronche, et subir le traitement social qui va avec ? Pourquoi faire ? Je n’ai pas le goût du martyre, pardonnez-moi.
Je pourrais la nier, mentir, tricher. Mais ce serait me trahir moi-même. Avoir honte. Ce n’est pas une solution non plus.
Je n’ai pas honte de mon parcours. Mais donne moi la possibilité d’être née femme cisgenre, évidemment que je la prends. Évidemment qu’il y a un côté « malédiction » dans le fait d’être trans* à mes yeux. Ce qui ne veut pas dire qu’il faut se juger monstrueuse, qu’il faut se flageller. Qu’il faut se laisser écraser par les personnes cis bien ou mal intentionnées.
Je me débats dans ces questionnements en connaissant très bien les discours visant à décourager les transitions. Les discours expliquant qu’on ne sera jamais « vraiment » de son genre de destination, de sa nouvelle classe de sexe. Et je connais aussi les discours en réaction de certaines femmes trans* ne voulant pas faire confiance aux femmes cis, à leurs cadres de socialisation, à leurs cadres militants. Je les comprends. Il faut se protéger.
Mais comme devenir lesbienne m’a libérée, rejoindre la classe des femmes est la plus belle chose qui m’est arrivée. Malgré l’oppression, la domination; malgré le sexisme, le harcèlement de rue, les agressions sexuelles et l’infantilisation; c’est la plus belle chose qui m’est arrivée. L’expérience partagée, parfois confuse, de l’oppression. La sororité comme amour.
J’ai lu « Nevada » d’Imogen Binnie. Pendant ma lecture, je ne savais pas si je voulais rire, pleurer, les deux, sourire, poser le livre pour souffler, le reprendre, crier dehors, m’enthousiasmer, compatir ou tout cela en même temps. Ce livre parle de moi, sans parler de moi. Ce livre parle pour moi, contre moi, malgré moi, loin de moi. Ce livre parle d’une autre, et ça pourrait être moi, ou peut-être pas, ou j’en sais rien, mais on s’en fout. Ce n’est pas ça qui compte. Ce livre est un soleil. Il est résilient, réparateur.
J’ai commencé (enfin) « Les vilaines » de Camila Sosa Villada, et de nouveau, des mouvements sous ma peau. Presque les mêmes. Les larmes qui viennent aux yeux, la gorge qui se grippe, et comme une explosion d’amour, de tendresse, pour moi, pour elles, pour toutes les femmes trans* de la planète.
Et je repense à cette citation bientôt classique de Julia Serrano, extraite de son « Manifeste d’une femme trans » : « Dans les yeux des femmes trans, je vois une sagesse qui ne peut que provenir du fait d’avoir eu à se battre pour être reconnue en tant que femme, une force brute qui ne peut que provenir du fait d’avoir eu à affirmer fièrement son droit à être femme dans ce monde inhospitalier ».

Hari Nef lors de la première de « Barbie »
C’est ce regard que je vois dans les yeux d’Hari Nef. Celui que je vois dans les yeux de toutes ces femmes trans, parfois mal assurées, qui débutent leurs parcours, plus jeunes que moi; qui suivent un chemin que d’autres ont déblayé avant. Qui regardent derrière elles pour ne pas abandonner une des leurs.
C’est ce regard que je crois déceler chez moi. Je suis une d’elles.